Ils étaient nombreux à l’hommage rendu à l’Ambassade du Cameroun, mercredi dernier, tiraillés entre indignation et incompréhensions.

Esplanade de l’Ambassade du Cameroun en France. Mercredi, 25 janvier 2023. Une sobre et émouvante cérémonie de recueillement, voulue par SEM André-Magnus Ekoumou, Ambassadeur Extraordinaire Plénipotentiaire du Cameroun en France, se déroule en présence du personnel et des usagers. Les mines transpirent une douleur que les mots ne sauraient mieux exprimer, avec une seule question sur toutes les lèvres, sans réponse à ce jour : « Pourquoi ? ». Après la cérémonie, des confrères se confient, par exemple au téléphone : « C’est très choquant. Comment cela peut-il encore être possible au 21ᵉ siècle ? Comment peut-on traiter un homme de cette manière ? J’espère seulement que pour une fois, la justice sera à la hauteur des enjeux. Le fait que ça soit passé à proximité d’une gendarmerie, c’est lamentable. Dans un pays normal, on s’attendrait à ce que les forces de l’ordre protègent les citoyens. Or, il paraît que Martinez Zogo n’ait même pas pu trouver refuge dans une gendarmerie, parce que visiblement, elle était fermée, c’est terrible. C’est une honte sans nom, surtout pour l’image de mon pays, le Cameroun ». Hilaire Sopie, journaliste promoteur de Sopie Prod, une boîte de production audiovisuelle basée en région parisienne, est abasourdi. Comme bien d’autres, il veut savoir comment on a pu en arriver là.

« J. Rémy N’gono et le film de l’assassinat de Martinez Zogo »

« Ce ne sont pas les dossiers noirs de samedi soir. Mais c’est un dimanche noir. D’où d’ailleurs la couleur de ma tenue. Ainsi que je l’avais annoncé, je l’avais prédit et puis la mauvaise nouvelle devait se confirmer. Mesdames et messieurs, avant de commencer ce direct, d’entrer dans les détails, je vous convie à observer une minute de silence pour le martyr Martinez Zogo ». Dans une vidéo réalisée le 23 janvier sur sa chaîne YouTube, J. Rémy N’gono fait le film de l’assassinat de Martinez Zogo et autres journalistes. Après la minute de recueillement, l’homme de médias enchaîne par une citation d’Arthur Schopenhauer : « La vie d’un homme n’est qu’une lutte pour l’existence avec la certitude d’être vaincu ». J. Rémy N’gono semble avoir une conviction inébranlable quant aux commanditaires de cette ignominie. Pour Louis Magloire Keumayou, journaliste et président du Club de l’information africaine, que nous avons joint au téléphone depuis Lomé au Togo, l’assassinat de Martinez Zogo est révélateur du chant de cygne, de la fin du règne du pouvoir d’Etoudi.

« Rivalités et luttes au sein d’un pouvoir en fin de règne »

« Pour pouvoir interpeller un journaliste, l’enlever, l’assassiner en lui faisant subir les pires sévices, témoigne de ce que les auteurs des faits aussi macabres ont agi sans le moindre scrupule. C’est la preuve incontestable qu’ils savent qu’ils sont protégés et ne risquent rien », indique-t-il, expliquant : « les méthodes utilisées visent surtout à terroriser toute une profession, celle des journalistes d’investigation ou qui s’intéressent aux dysfonctionnements de la société et particulièrement au sommet de l’État ».

Un autre journaliste, philosophe et écrivain, ancien Rédacteur en Chef de la Crtv, Cyrille Kemmegne réagit à double titre : « D’abord en tant que citoyen camerounais tout court, ensuite en tant que journaliste. Comme tous les Camerounais ayant encore au moins une étincelle de jugeote et de bon sens, j’y vois un assassinat lâche, odieux et profondément crapuleux. De quoi donner raison au célèbre artiste-musicien, le général Valsero, qui a trouvé un concept particulièrement original lorsqu’il parle à juste titre du « crépuscule des crapules ». La mort inadmissible de Martinez Zogo est ni plus ni moins un signe visible de la fin de 40 ans d’autocratie sans partage, par Paul Biya. Sinon, comment comprendre que, de manière aussi brutale, l’on ôte l’existence à un compatriote, simplement parce qu’il a osé dire ce que ceux qui l’ont lâchement tué ne veulent pas entendre ? », s’interroge-t-il, insistant : « Je dénonce ce cynisme féroce, révoltant et sans borne. Le journaliste que je suis salue le courage de Martinez Zogo, un courage à toute épreuve qui lui a coûté fatalement la vie. Encore une fois, les silences présidentiels que certaines personnes ont magnifiés, plus pour des intérêts pécuniaires et de positionnement qu’autre chose, sont abjects, nauséeux et nauséabonds. Paul Biya ne peut plus diriger le Cameroun et ça se voit désormais comme le nez sur le visage ». Malgré ce drame, Cyrille Kemmegne encourage la corporation à continuer à travailler dans la dignité. « Je me félicite de l’initiative prise de manifester pacifiquement pour se faire entendre et dire leur désapprobation. Le meilleur hommage que nous puissions lui rendre consiste à faire de sa mort le coup d’envoi de la véritable libération des Camerounais en général, et des historiens du présent en particulier. Martinez Zogo dérangeait les crapules qui sont au crépuscule de la descente aux enfers du Cameroun ».

Par Jean-Célestin Edjangué à Paris

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