Le journaliste, critique d’art, et acteur culturel majeur au cœur de la diaspora camerounaise, s’exprime sur des bonnes et des mauvaises notes des compatriotes artistes et promoteurs culturels en Occident.
Vous êtes journaliste culturel camerounais établi à Paris depuis plusieurs années déjà. Est-ce que l’art et la culture du terroir s’insèrent aisément dans cet environnement marqué par des influences diverses ?
Par expérience, l’art et la culture, sont les meilleures vitrines du Cameroun en Occident. Dans ces deux domaines, des talents foisonnent et donnent un rayonnement indiscutable à notre pays. Par ailleurs, l’offre y est et la demande également. Je dirai même qu’il y a une demande viscérale de l’art et de la culture, puisqu’ils sont la marque de notre identité au sein de notre diaspora. Ce sont nos deux vraies cartes d’identités malgré les diverses influences qui constituent d’ailleurs une meilleure chance de développement de nos talents. La culture camerounaise est un trésor dans cette diaspora, et les Camerounais sont fiers de ce qu’ils sont ; ils sont fiers de brandir leur drapeau ; ils sont fiers de parler de leur footballeur ou de leur lutteur ; ils sont fiers d’écouter leur musique, et ils sont fiers de rencontrer les autres et de se frotter à d’autres cultures. C’est justement cela qui permet d’aller plus haut. Les Camerounais ne sont pas des gens qui gardent les idées dans un placard, ils vont à la rencontre de l’universel.
Est-ce que nos artistes musiciens sont en vue dans des festivals en France ?
La France est un grand pays, elle a fait de l’art et de la culture une source principale pour l’édification de l’homme qui souhaite s’exercer dans cette activité. Dans toutes les villes, vous trouverez des structures qui permettent à l’artiste de se déployer. Mais le grand souci réside au niveau de notre pays d’origine, qui ne facilite pas une meilleure coordination, pour une meilleure organisation. Parlant des festivals organisés en France, il y a des artistes comme Kareyce Fotso, Charlotte Dipanda et bien d’autres qui tournent dans les festivals mondiaux, il y a également des groupes de jeunes comme le ballet de la diaspora camerounaise, sans oublier les groupes de danse Benskin et les Medjan créés ici en France qui font des prestations sensationnelles. Contrairement à ceux venus du terroir qui n’ont pas encore le sens du professionnalisme. On constate plutôt un amateurisme persistant.
L’on explique que des artistes quittent le Cameroun sans connaître les dates de leurs spectacles et c’est en France qu’on vous appelle pour les programmer ?
Nous avons vu des jeunes venir en France après la Covid- 19 effectuer des prestations dans de petits cabarets de fortune. J’ai des doutes qu’ils soient rentrés dans des bonnes conditions et peut-être même qu’ils sont encore quelque part en train de déambuler à la recherche de je ne sais quoi sur les Champs-Élysées.
Ceux-là ont-ils un statut d’artistes une fois sur le territoire français ?
Pour effectuer une prestation sur le territoire français et le faire dans une salle de spectacle reconnue, il faut être déclaré et avoir un statut d’artiste pas forcément professionnel. Je constate avec regrets que certains de nos artistes ne connaissent pas tout cela. Ils doivent s’inscrire par exemple à la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) afin de percevoir leur droit. Beaucoup ignorent également cela. Nos artistes doivent se laisser guider. Ils doivent s’informer pour maîtriser comment les choses fonctionnent ici. S’entourer des managers sérieux qui les accompagnent pour qu’ils puissent jouir de leurs œuvres sans maux de tête. Enfin, nos artistes doivent faire la musique et rien que de la musique et laisser le reste au professionnel du métier pour les accompagner.
Est-ce qu’il n’y a que de mauvais exemples ?
Du tout. Nous avons vu dans les années 2015 et 2016 des promoteurs comme Armand Nlend, aller chercher des artistes au pays pour des tournées européennes avec tout le professionnalisme. Le promoteur Jean Robert Ngamwo a également fait ses preuves ainsi que Bertrand de Torpédo production avant d’être déçu par les Camerounais. Joël Metang de la prestigieuse nuit en Blanc de Washington DC qui a lui tout seul a déjà fait venir sur le sol Américain : les artistes telles Daphné, Ruth Kotto, Lady Ponce entre autres. Eyong Eyong Ebot avec le Black and White d’Atlanta où j’ai eu l’immense bonheur d’assister à leur 10ème anniversaire avec Petit Pays comme artiste invité, sans oublier Sylvie Dang Makendi de la SM Fashion d’Atlanta, Chiefess en Pennsylvanie, le très célèbre groupe Ebony Event en Allemagne qui excelle dans la promotion culturelle chaque année et ceci depuis plus de 10 ans, Zimix Festival de Lausanne en suisse de notre compatriote Mario Mkc qui existe depuis plus de 7 ans, le Criterium africain de Belgique en place depuis plus de 10 ans que dirige les deux célèbres DJ, Willy Mix et DJ François dans le Bénelux, pour ne citer que ceux-là. Ce sont des promoteurs culturels sérieux qui font constamment venir des artistes du Cameroun avec toute la bonne démarche nécessaire à l’élévation de notre culture chez l’oncle Sam et au-delà.
Le Cameroun est un fleuron de plusieurs rythmes. Quel style de musique issue du pays marche le plus de votre côté ?
Les rythmes camerounais et africains, comptent parmi les plus anciens au monde et les meilleurs dans la créativité. Vous savez par exemple que le Zouk vient du Makossa, le coupé-décalé vient du Bitkusi. La diversité et la maîtrise des techniques des instruments comme d’ailleurs dans le monde de la communication sont détenues pour la plupart par des Camerounais. Vous connaissez les noms que je ne citerai pas ici pour ne pas léser certains. Vous verrez donc qu’il a plusieurs types de satisfactions qui en ressort lorsqu’on parle de la mu- sique Camerounaise en occident comme partout ailleurs. Notre première chance, ce sont ces grands noms camerou- nais qui ont développé des styles et nourri même d’autres rythmes venus d’ailleurs. Combien de camerounais aujourd’hui remplissent l’opéra ou le zénith, ils sont nombreux ; laissez-moi citer à titre exceptionnel, quelques noms qui ont fait la fierté de la culture camerounaise en occident, il y a par exemple Jacques Greg Belobo ; sa seule voix est une œuvre d’art, je dirai même c’est une voix sculptée, sans oublier Christian Akoa qui fait dans le même registre en Allemagne. Le grand basiste Richard Bona à New-York qui n’effectue la plupart de ses prestations qu’à travers le monde, on a qu’à voir ses multiples prouesses sur You- Tube. Feu Manu Dibango de regrettée mémoire faisait également le plein des salles parisiennes avec du Soul Makossa. Les X-Maleya ont fait le plein de l’Olympia à Paris avec leur style, Petit-Pays lors des 10 ans du Black and White à Atlanta à fait le plein avec le pur Makossa du pays. Des vituoses de la Bass tels qu’Etienne Mbappe, Guy Nsangue, et bien d’autres, font le plein de salle pour le bonheur des Européens. André-Marie Talla, Lady Ponce et bien d’autres ont fait le plein des salles. Chacun y arrivait avec son style et son rythme. Pour dire que tous les styles sont la bienvenue en fonction des goûts de chacun.
Des chanteurs qui ont du succès au Cameroun, finissent généralement en occident. Qui fait la démarche ? Comment les spectacles auxquels ils participent sont organisés ?
Nous sommes portés ici par la nouveauté et surtout lorsque cela marche bien au pays. En général, ce sont les producteurs qui font la démarche auprès des managers de ces artistes. En Europe, parfois, c’est moins contraignant même s’il faut faire les choses selon la réglementation en vigueur, c’est-à-dire effectuer une déclaration à la (Sacem) de son événement et surtout déclarer à l’Urssaf (Organisme qui collecte les fonds des travailleurs) son artiste. Mais aux Usa, c’est souvent compliqué, car au niveau de la douane ; s’ils sont au courant que c’est un artiste qui vient pour une prestation, cela nécessite un contrat de travail en bonne et due forme qu’il va falloir établir. Les organisateurs de ce côté le savent très bien et font le nécessaire
L’on a également constaté que vos événements en Europe démarrent très tard, qu’est ce qui explique cela ?
C’est devenu une maladie quasiment incurable. Si vous êtes invité à une soirée en Occident, pas la peine d’arriver avant minuit, au mieux 1h00 du matin ou 2h du matin. Premièrement il y a la mentalité africaine avec laquelle nous immigrons qui revient au galop. Chacun vient de façon libre, alors que si c’était le début exigé pour un employeur tout le monde arriverait à l’heure s’il ne veut pas subir des sanctions. Il y a d’autres cas de figures qui peuvent expliquer cela : je veux parler des organisateurs avec la décoration et toute la mise en place qui peuvent accuser un retard. Il y a ceux qui travaillent, finissent parfois à 19h ou 20h du soir. Le temps de rentrer chez eux pour se préparer fébrilement dans leur vêtement dernier cri qu’ils veulent venir exhiber prend un temps fou. Dans cette tenue somptueuse à l’allure d’apparat, la senteur de leur parfum doit se déployer dans toute la salle afin que le lendemain, l’intéressé soit un sujet de commentaire.
La tournée de Grace Decca aux Usa et en France ont connu des fortunes diverses. Comment vous l’analysez ?
A une semaine du spectacle, le paiement de la salle de spectacle n’était pas à jour. L’amateurisme était palpable, je dirai même de bas étage et infantile. L’organisatrice ne s’y connaissait pas, elle a voulu jouer avec la bulle parisienne. Les conséquences sont ce que vous avez appris. Je ne vais pas en dire plus de peur de heurter ici quelques sensibilités, mais ce fut un fiasco, du bruit inutile, bref un événement à oublier assez vite. Pour ma part, l’artiste n’aurait pas dû vivre une telle humiliation à Paris. La preuve quelques jours plus tard, la même artiste a fait salle comble à Washington DC sans pour autant être saboté.
Parmi des problèmes que rencontrent des artistes camerounais, se dresse la BAS sur le chemin de ceux qu’ils estiment être de connivence avec le régime de Yaoundé, et donnent carte blanche à ceux qui ne s’affichent pas. Comment vous vivez cette situation qualifiée de deux poids deux mesures ?
Assez complexe, ce sont deux poids, deux mesures comme vous le dites si bien, et nous ne sommes pas au bout de nos peines. Entre sabotage inutile, torture des artistes, on a simplement le sentiment, que le monde artistique est pris en otage par une caste des personnes en mal de notoriété. Lorsqu’on n’a pas besoin de toi, on te sabote, et lorsque tu joues le jeu, on te laisse. Néanmoins au lendemain de ce qu’on a fait vivre à Grace Decca à Paris récemment, un forum a été créé entre la Bas (Brigade anti sardinard) d’une part et quelques acteurs culturels afin de dialoguer et trouver un moyen de décanter la situation mais peine perdue, les exigences de la Bas sont incompréhensibles, presque métaphysiques. Ce qui les a d’ailleurs permis de rebondir au quai Branly lors de la grande parade des chefs traditionnels. Les soirées parisiennes se vivent actuellement avec une certaine peur dans le ventre et l’on ne sait quand ce scénario prendra fin.
Est-ce qu’il n’y a pas là des tendances au tribalisme ?
Les tendances tribales ne sont pas à négliger même si en toile de fond et au-delà du professionnalisme de certains artistes, et même des organisateurs de soirée, très souvent le choix des prestations, au-delà de la performance fait rejaillir un choix tribal. Dans la majorité des cas en Europe généralement, il y a toujours cette tripartite qui se dégage dans nos soirées : un artiste Sawa, un artiste bamiléké et un artiste du centre et Sud-Est. L’on vous laissera toujours comprendre que le but est de contenter l’ensemble, voilà un peu où nous en sommes.