Un théoricien du patriotisme économique à la togolaise 

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L’histoire contemporaine de l’Afrique regorge de dizaines d’exemples de tentatives de déstabilisation d’États souverains.

24 janvier 1974 – 24 janvier 2023 : le mystère reste entier sur  les évènements ayant conduit au crash de l’avion transportant le Président Gnassingbé Eyadema le 24 janvier 1974. 

Un demi-siècle plus tard, les causes réelles du drame continuent de diviser historiens et politiciens. Tous sont pourtant unanimes à reconnaitre que l’histoire du Togo n’a plus été la même à partir de cette date qui a marqué pour beaucoup le point de départ d’une véritable prise de conscience des tenants et aboutissants de la lutte du Togo pour conquérir son indépendance économique.

Sarakawa. Vu de la capitale, il s’agit au mieux d’un établissement hôtelier du bord de mer togolais. Pour les plus informés d’entre les jeunes interrogés, c’est le nom d’une localité qu’ils pourraient situer sur une carte, dans la partie septentrionale du Togo. 

Rares sont ceux d’entre eux qui sauraient dire les circonstances dans lesquelles Sarakawa s’est brutalement imposée comme un jalon marquant de l’histoire contemporaine du Togo.  

Pourtant, cette histoire mérite d’être racontée et mise en contexte, afin d’éclairer les générations actuelles qui, bien que n’en ayant pas été des témoins, doivent pouvoir s’y référer pour avoir une connaissance éclairée des faits saillants qui ont forgé l’existence de la nation moderne que nous connaissons aujourd’hui. 

Heureusement, 49 ans après les évènements, les débris du DC3 présidentiel restent visibles au mausolée construit pour garder et transmettre le souvenir de ce drame qui a manqué de faire basculer le Togo vers des lendemains incertains.

Accident ou attentat ? Qui de mieux qu’un rescapé pour raconter ce crash survenu à proximité du village de Sarakawa du DC3 effectuant une liaison entre Lomé et Pya avec à son bord le Président Eyadema ainsi que des personnalités politiques et militaires ? Un témoignage revient souvent à l’occasion de la commémoration de cet évènement. Celui du Pasteur Roux qui faisait partie des passagers de ce vol qui allait entrer dans l’histoire du Togo. 

‘Je ne connais pas encore le TOGO mais je sens que nous approchons lorsque nous survolons à faible altitude la ville de KARA au dessus de laquelle le pilote effectue un virage à gauche pour se diriger vers le lieu-dit SARAKAWA, où nous devons atterrir. L’avion fait deux ou trois battements d’aile en signe d’accueil au moment où il survole la piste au bout de laquelle sont groupés quelques officiels venus accueillir le chef de l’état et sa suite. Puis il amorce aussitôt un virage sur l’aile vers sa gauche pour remonter la piste avant d’effectuer le dernier demi-tour le mettant dans l’axe de la descente. Ce premier virage est fait de manière si brusque que je renonce à filmer l’arrivée. Dans la remontée de la piste, l’avion s’étant remis à plat, je sens la remise des gaz. Nous dépassons la fin de la piste que j’ai maintenant sur ma droite et, aussi brusquement que la première fois, le pilote opère un nouveau virage sur sa gauche, pour prendre l’axe et entamer la dernière descente. Instinctivement, en posant ma caméra au moment du premier virage à 90°, j’avais resserré très fort ma ceinture qui était restée négligemment attachée depuis le départ. Cependant, l’ambiance est fort détendue à bord et personne ne se doute que l’impensable va se produire dans la minute qui suit. Je suis à ce moment-là très fortement incliné vers le hublot et j’ai sous les yeux l’extrémité de l’aile gauche de l’appareil. Le virage, cette fois est de 180°. Un sentiment de doute s’installe doucement en moi, je dis doucement, par contraste avec la brusque accélération qui se produit ensuite. C’est que j’ai l’impression que le pilote ne redresse pas l’appareil comme je m’y attends normalement. Ce sentiment se trouve brutalement confirmé par notre approche soudaine du sol, puisque nous avons amorcé la descente, dans une courbe qui n’en finit plus. Je tourne la tête au maximum sur ma droite, vers l’avant, pour voir où le pilote nous emmène…  Au dernier moment, dans une même vision, ce n’est plus nous qui allons vers le sol, mais le sol qui arrive sur nous. Dans un fracas épouvantable, le DC3 termine sa course en pleine brousse, un bon kilomètre avant la piste de fortune où il était attendu. Il est 15 heures 37. Nous sommes le 24 Janvier 1974’.

La réalité du drame qui aura fait sept morts et plusieurs blessés ne fait aucun doute.  L’enquête officielle fera état d’un attentat ourdi par des agents étrangers motivés par des intérêts politiques à forte connotation économique. Et sur sa nature, certains éléments purement factuels et historiques permettent à chacun de se faire une idée… 

Moins de 15 ans après l’indépendance du pays, le Président Eyadéma fut le premier à formuler ce concept un peu nouveau à l’époque. L’âpre lutte pour l’indépendance était encore dans tous les esprits, avec des figures héroïques connues ou moins connues : Sylvanus Olympio, premier Président de la République, Anani Santos, vainqueur des consultations électorales qui décidèrent du sort de la jeune nation, mais rapidement embastillé par le premier, et bien d’autres…

Et voilà que c’est encore dans le sang que vont s’écrire les premières lettres de la libération économique du pays qui devra réellement permettre aux togolais de jouir des fruits de leurs sacrifices longtemps consentis.

L’histoire contemporaine de l’Afrique regorge de dizaines d’exemples de tentatives de déstabilisation d’États souverains en raison de conflits portant sur l’exploitation de ressources minières. Dans le cas du Togo, la découverte du phosphate est intervenue en 1952, pendant l’administration française du pays.

Ce minerai va très vite devenir la principale source de revenus du Togo qui sera l’un des principaux producteurs à l’échelle mondiale. Son extraction et sa commercialisation ont commencé en 1957 par la Compagnie togolaise des mines du Bénin (CTMB). La CTMB, dont l’État togolais ne détenait que 35% du capital en 1957. 

Le Président Eyadéma aurait en effet initié un dialogue avec la France afin de permettre au Togo de profiter pleinement des produits de l’exploitation de son phosphate pour amorcer son développement économique. Le 10 janvier 1974, il annonce la décision prise par son gouvernement de porter de 35 à 51% la part du Togo dans la société exploitante du phosphate et de faire assurer désormais la commercialisation de ce phosphate par un organisme public. Quelques jours après, il manque de se faire tuer dans un « accident » d’avion dont les pilotes étaient tous… français. 

Son premier message à la nation après le drame sera pour encourager le peuple togolais à lutter pour obtenir son indépendance économique. Selon lui, l’euphorie de l’indépendance politique acquise en 1960 n’a de sens que si elle est véritablement suivie d’une souveraineté économique avec la possibilité pour les Togolais de profiter des ressources de leur sol. 

Près d’un demi-siècle après Sarakawa, le Togo poursuit son parcours sur la voie de la pleine souveraineté tracée par le Président Eyadema. 

En 2023, le contexte a certes beaucoup évolué au gré des épisodes de la vie nationale, régionale et internationale. Mais les enjeux restent aujourd’hui identiques, dans un contexte sous-régional marqué par des luttes d’intérêts entre grandes puissances. Selon toute apparence, le Togo a fait le choix de continuer d’affirmer son indépendance sur les grandes questions du moment, en privilégiant l’intérêt de ses populations. 

Source: republicoftogo.com

Mais il demeure cette lancinante question : que serait devenu le Togo si le drame du 24 janvier 1974 avait coûté la vie à Gnassingbé Eyadéma ? 

Au-delà des conjectures, il reste à commémorer cette date en saluant la mémoire des compatriotes qui n’ont pas survécu au crash et en jetant un regard plein d’enseignements sur l’un des épisodes de ces grands combats que mena, parfois avant l’heure, le Président Eyadéma.

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